Comment décarboner la construction

PME Le béton bas carbone, l’acier vert et le bois augmenté sont en train de devenir des solutions permettant de diminuer drastiquement les émissions de CO2. La start-up Woodoo propose ainsi de remplacer l’aluminium, l’acier et le béton avec un bois sans lignine.

Article publié le 26 octobre 2025 dans Le Temps
Par SERGE GUERTCHAKOFF (IMMOBILIER.CH)

L’entreprise Woodoo vient d’annoncer la finalisation de la façade du bâtiment écoresponsable Mix-City à Renens (VD). Comme il est destiné à un usage mixte (logistique, atelier, bureaux, commerces et loisirs), sa façade a été réalisée à partir d’un nouveau matériau inédit, le bois augmenté Stack. Ayant nécessité environ sept années de recherche et le dépôt de 82 brevets, ce bois augmenté est un matériau non seulement décarboné, mais aussi moins cher que les solutions classiques, par exemple des lames de façade en aluminium. « Le but n’est pas de remplacer le bois lambda lorsque ses particularités suffisent. Notre mission pour cette nouvelle technologie est de réaliser des bâtiments de grande hauteur et de grandes performances sont nécessaires, de quoi lui permettre de remplacer l’aluminium, l’acier et le béton classique« , relève Timothée Boitouzet, 38 ans, fondateur et directeur général de Woodoo.

Architecte de formation

Parmi les multiples avantages de la solution développée par cette start-up française, le fait de pouvoir utiliser du bois de faible qualité à croissance rapide tel que le peuplier, abondant et sous valorisé. Un bois qui aujourd’hui sert essentiellement à fabriquer des cagettes. Architecte de formation, Timothée Boitouzet s’est spécialisé au Japon dans les structures parasismiques en bois. «J’ai toujours eu le sentiment que la nature avait très bien pensé le bois. Ce matériau résout de nombreux problèmes.» Il aura l’opportunité de collaborer avec les architectes Kengo Kuma, Herzog & de Meuron ou encore Dominique Perrault.

« J’ai toujours eu le sentiment que la nature avait très bien pensé le bois. Ce matériau résout de nombreux problèmes » TIMOTHÉE BOITOUZET, ARCHITECTE

Passionné par le bois et ses performances, il cesse l’architecture pour aller faire de la recherche au Massachusetts Institute of Technology (MIT) entre 2010 et 2012. C’est là qu’il découvre qu’en enlevant une molécule, on peut transformer le bois en une matière bien plus résistante. A partir de cette découverte, il développe deux produits. L’un permet de remplacer les épines de façades (les systèmes pare-soleil) généralement en aluminium, l’autre de réaliser les éléments de structure, tels que les poteaux et les poutres.

Peu de concurrence

C’est ainsi qu’outre le matériau de façade installé à Renens, Woodoo a signé avec Bouygues Construction un contrat d’approvisionnement de 32 millions d’euros pour son produit de structure. Ce deal porte sur la production de 10 000 m3 destinés à des bâtiments industriels et des data centers à livrer sur les trois prochaines années. «Il y a actuellement en Europe, et notamment en France, une vraie course à la construction de data centers.

Notre solution permet de construire de façon décarbonée et plus rapidement, car nos poutres seront plus légères que celles en béton armé [2,5 tonnes au lieu de 12 tonnes, ndlr].» L’outil de production de Woodoo a été internalisé à Troyes. «Nous allons créer une structure suisse d’ici quelques mois. Nous hésitons encore entre le canton de Genève et le Valais. Cependant nous avons vocation à travailler avec des partenaires de production», relève le fondateur et patron de Woodoo.

Béton vert

La jeune société a levé 13 millions d’euros auprès de deux family offices suisses [dont One Creation, une société de droit suisse d’investissement d’impact, sise à Vevey], de huit business angels – des investisseurs en capital-risque, mais qui opèrent à un niveau plus modeste – et d’un fonds de capital-risque américain, Lowercarbon Capital. Dans le segment du bois augmenté, les concurrents sont rares. Citons l’américain InventWood, qui espérait démarrer la production de son produit en 2025.

Outre le bois augmenté, qui consiste à remplacer la lignine par une résine en partie recyclée qui durcit dans les porosités du bois, on peut citer le ciment bas carbone. Pour l’heure, en Suisse, cela concerne le ciment Hoffmann Green, produit grâce à un processus de fabrication avec 0% de clinker. Au final, son empreinte carbone est divisée par 3,5. Un premier bâtiment de 12 appartements a été construit avec ce produit au Grand-Saconnex (GE). Le rez-de-chaussée, semi-enterré, est réalisé en béton traditionnel alors que les trois niveaux supérieurs sont entièrement en béton bas carbone. L’entreprise Maulini a déjà utilisé ce béton pour la construction de plusieurs villas. Citons aussi l’acier vert. En règle générale, cet acier est plus onéreux que l’acier classique. On parle d’un supplément de prix pouvant aller jusqu’à 300 euros par tonne. Là encore, la Suisse joue un rôle de pionnier. Le nouveau campus Forster à Romanshorn (Thurgovie), réalisé par Ernst Fischer, a été livré l’an dernier. C’est le premier complexe en Suisse à avoir décroché le certificat LEED Gold, reconnu pour la construction durable. Les producteurs d’acier Arcelor-Mittal, Thyssenkrupp, SSAB ou Voestalpine combinent différentes approches pour réduire les émissions de CO2, de la réduction directe par l’hydrogène à la capture et au stockage de CO2. Cependant, cela nécessite de construire de très grosses usines. Or, Woodoo se dit déjà prêt à lancer la fabrication de dizaines de milliers de m3 de bois augmenté, de quoi prendre de vitesse la plupart de ses concurrents.

En Suisse, outre MixCity à Renens, Woodoo possède trois autres projets dans son pipeline : en Valais, à Genève et dans l’Oberland bernois. Tous concernent des façades. « La production de structures en bois augmenté ne sera disponible qu’à partir de 2026 », précise le directeur général.

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