Depsys pallie les carences

Transcription de l’article du mercredi 23 février 2022 dans Le Temps

Michael De Vivo, cofondateur de Depsys, le 18 fevrier 2022 à Puidoux. — © CYRIL ZINGARO / CYRIL ZINGARO 

La start-up vaudoise a été incluse dans une liste internationale de cent entreprises aux solutions prometteuses pour la planète. Ses capteurs intelligents améliorent la gestion des flux électriques et diminuent les risques de panne. Des obstacles importants freinent pourtant leur déploiement 

Nous sommes à Puidoux (VD), dans un bâtiment en briques rouges. A l’intérieur, les murs sont ornés de plantes, les ampoules à basse consommation et nous avons droit à une démonstration. Une prise de pouls du réseau électrique, cet enchevêtrement de câbles et de machines réputé insondable. Marianne Tamborini, directrice marketing de Depsys, la start-up qui occupe les lieux, allume un écran qui révèle une ribambelle d’informations en temps réel, dont les niveaux de charge et de tension, dans un quartier de l’Arc lémanique. La tension est 4% plus élevée que la moyenne de 230 volts.  

« A partir de 10%, le risque de panne ou de détérioration du matériel connecté au réseau de distribution [celui qui achemine le courant chez les clients finaux, ndlr] est important », relève Michael De Vivo, directeur général de Depsys.  

« On peut identifier et localiser avec précision les problèmes devant son écran et les anticiper »,

Michael De Vivo, directeur général de Depsys

Par le biais de capteurs, le groupe vaudois fournit l’information nécessaire à une amélioration drastique du réseau. Il contient les risques de panne et décarbone le système, ce qui lui a valu plein de distinctions, mais des habitudes à la vie dure dans le secteur et des lois peu incitatives freinent son essor. L’entreprise figure depuis janvier parmi les cent pépites mondiales de l’organisation Global Cleantech les plus susceptibles de contribuer à un avenir neutre en carbone.  

« Avec les panneaux solaires et l’électrification de la société, le réseau montre de plus en plus ses limites », affirme Michael De Vivo. « Pendant longtemps, on était aveugle. Il fallait se rendre sur place et tâtonner pour trouver l’origine d’une panne. Maintenant on peut identifier et localiser avec précision les problèmes devant son écran et les anticiper. Le nerf de la guerre, c’est l’information. » 

Baisse des émissions de CO2 et du coût des infrastructures 

Les capteurs de Depsys, interconnectés, peuvent intervenir pour répartir les charges, dévier le courant ou utiliser l’énergie des panneaux solaires pour influencer les niveaux de tension sur le réseau. Les données qu’ils fournissent permettent aussi aux clients de Depsys, des gestionnaires comme Romande Energie, les SIG ou Viteos, de redimensionner l’infrastructure.  

Si tout le réseau de distribution en Suisse était intelligent, on réduirait de 70% ses émissions de CO2 et de sept cents fois ses coûts d’installation et de maintenance, selon Depsys. On épargnerait en effet la mise en place, la fabrication et notamment le transport d’un immense nombre de câbles et de machines.  

La start-up créée en 2014 vend aujourd’hui ses solutions dans une dizaine de pays en Europe et en Asie. L’entreprise, qui ne publie pas de chiffres financiers, recense quarante employés et des filiales en Allemagne et au Royaume-Uni.  

« Depsys nous offre une meilleure observabilité des flux d’énergie sur le réseau », selon une porte-parole des SIG. «Elle doit nous permettre d’évoluer vers une gestion plus prédictive, mieux adaptée à l’impact qu’à la forte intermittence des énergies renouvelables sur nos activités de planification et de conduite du réseau», renchérit-on chez Romande Energie.  

Les lois suisses incitent pourtant à investir dans des équipements fixes et à surdimensionner les câbles, plutôt que dans des logiciels, et le secteur tarde ainsi à embrasser le virage numérique, estime-t-on néanmoins chez Depsys. Un point de vue largement partagé par l’Association des entreprises électriques suisses (AES).  

« La transition énergétique, qui voit la production électrique se décentraliser, requiert une collaboration accrue entre les gestionnaires de réseau de distribution (GRD) et leurs clients, plus de marge de manœuvre et moins de règles », selon Valérie Bourdin, porte-parole de l’AES. « Les lois n’encouragent pas les investissements en matière d’innovation. » Les GRD, tenus par la loi de raccorder les consommateurs à un réseau sûr et efficace, ne peuvent pas consacrer plus de 1% de leurs coûts d’exploitation à des idées novatrices. « Cette limite force les GRD à se restreindre à des projets pilotes plutôt que de se lancer dans des projets d’innovation d’envergure », ajoute Valérie Bourdin.  

Réseau vieillissant  

Depuis 2018, le pilotage par le GRD d’installations flexibles raccordées au réseau, telles que des panneaux solaires ou des chauffages, nécessite l’accord des propriétaires de panneaux ou autres centrales décentralisées. Le GRD doit contacter chaque client (plus de 100 000 pour certains d’entre eux) sans garantie de succès. « On observe depuis l’introduction de cette réglementation un recul de l’utilisation de systèmes de pilotage intelligents », ajoute Valérie Bourdin. 

Les réseaux de distribution en Europe, vieillissants, doivent être rénovés à hauteur de 400 milliards d’euros, selon l’organisation Euroelectric. Dans les pays nordiques, les câbles sont régulièrement surchargés, quand les éoliennes tournent trop vite ou aux pics des recharges de véhicules électriques et, au sud, il arrive qu’on renonce à des installations photovoltaïques car le réseau ne peut absorber leur production.  

A Puidoux, Michael De Vivo estime qu’on parle beaucoup de décarboner la production, avec des panneaux solaires ou des éoliennes, mais jamais de décarboner la distribution et la gestion de l’électricité. « C’est moins sexy, conclut-il. Nous devons rendre ça attractif. » 

RICHARD ÉTIENNE 

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