Accord de Paris et Engagements Net Zéro : Quel bilan pour le 5ème anniversaire ?

Cinq ans après la signature de l’accord de Paris, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a exhorté toutes les nations à déclarer l’urgence climatique lors du sommet virtuel du 12 décembre 2020 organisé par l’ONU. Environ 70 dirigeants mondiaux ont participé à cet évènement.

Monsieur Guterres a souligné qu’à moins que l’état d’urgence climatique ne soit déclaré par tous les pays du monde, nous pourrons être confrontés à des hausses catastrophiques des températures. Il faut changer de cap et s’engager en faveur d’objectifs plus ambitieux de réduction des émissions de Gaz à effet de serre dès 2030. L’inaction déclenchera une défaillance irrémédiable de notre écosystème.

En 2020, les engagements des gouvernements et des entreprises visant à atteindre la neutralité zéro ont plus que doublé en comparaison avec les années précédentes. La plupart des acteurs visent un objectif pour 2050, mais les plus ambitieux promettent des émissions neutres pour 2030. La crise du Covid-19 a favorisé cette tendance. Nombreux acteurs économiques (États, entreprises, etc.), impactés par les mesures de confinement généralisées, commencent en effet à intégrer l’impact climatique dans la définition des nouvelles stratégies de sortie de crise.

« … De nos jours, la politique climatique est devenue un enjeu fondamental pour tous les gouvernements. … »

Plusieurs initiatives ont été lancées pour accélérer le mouvement et apporter un accompagnement plus ciblé. Parmi lesquels on trouve l’initiative des Nations Unies « Race to Zero » la plus grande alliance visant un objectif net zéro pour 2040 (elle compte désormais plus de 1’100 sociétés, plus de 20 régions et plus de 450 villes). En parallèle à cette initiative, une nouvelle plateforme a été mise en place pour accompagner les petites et moyennes entreprises à rejoindre le mouvement, il s’agit du « SME Climate Hub ». Il est vrai que le changement climatique représente une menace plus pressante pour ces sociétés qui supporteraient difficilement des coûts supplémentaires en cas par exemple d’interruption ou d’arrêt momentané de leur activité, ce qui pourrait impacter le rythme de leur croissance économique. Les chiffres historiques montrent que plus de 40% de ces sociétés font faillite après une catastrophe. Ces sociétés représentent aussi la chaîne de valeur pour d’autres acteurs plus importants et il s’agit là de décarboniser toute la chaîne de manière efficace et harmonisée.

Une autre initiative a été lancée par le mouvement BCorp pendant la COP 25 avec des objectifs beaucoup plus ambitieux où plus de 500 sociétés certifiées se sont engagées à devenir neutre en carbone en 2030, 20 ans avant l’objectif des Accords de Paris. À ce jour, plus de 800 sociétés certifiées ont rejoint le mouvement.

D’autres initiatives favorisent le dialogue actionnarial, comme le « Climate Action 100+ », une des plus grandes coalitions avec plus 500 investisseurs mondiaux, qui incite les entreprises les plus émettrices à s’engager pour la neutralité carbone d’ici 2050.

Mis à part ces initiatives, on observe en parallèle l’émergence de deux tendances qui poussent les entreprises à s’engager plus rapidement vers la neutralité carbone. La première est un changement en cours au niveau de la règlementation et la deuxième est le changement de comportement de leurs consommateurs qui deviennent plus sensibles à la cause climatique et sont même prêts à dépenser plus pour des produits conçus en respect de la nature et de l’éthique. Ces sociétés observent également une évolution similaire au niveau de leurs investisseurs. En effet, une société qui adopte des pratiques plus durables a plus de chance de les attirer et les fidéliser sur le long terme. D’ailleurs, on voit bien cet effort qui se concrétise à travers des investissements de plus en plus importants sur des projets d’efficacité. Les investissements en R&D  (recherche et développement) sont de plus en plus orientés vers cette transition.

L’engagement des pays leaders

De nos jours, la politique climatique est devenue un enjeu fondamental pour tous les gouvernements. Les annonces et les engagements se succèdent à grande vitesse et à de différents niveaux.

On a d’abord le top 3 des plus gros pollueurs au niveau mondial qui sont l’Europe, la Chine et les États-Unis qui ont annoncé des plans très ambitieux démontrant leur bonne volonté pour atteindre la neutralité carbone dans les délais fixés par les Accords de Paris. Le tableau, ci-dessous, expose ces engagements :

EuropeObjectif 2050 pour la neutralité. Le parlement européen a même voté pour une baisse de 60% des émissions déjà pour 2030. Des budgets records sont prévus pour soutenir les projets en lien avec cette transition.
ChineObjectif 2060 pour la neutralité et un pic des émissions autour de 2030 date à laquelle la Chine s’engage à réduire son intensité carbone de plus de 65%.
États-UnisObjectif 2050 pour la neutralité promise par le nouveau président Jo Biden. Les États-Unis rejoignent de nouveau les Accords de Paris. À noter aussi que près de la moitié des états américains (ex. la Californie et New York) visent déjà la neutralité dans leurs émissions globales ou dans des secteurs clés telle que l’énergie.

D’autres pays sont aussi à mentionner comme le Royaume-Uni qui vient de s’engager pour les objectifs parmi les plus ambitieux avec une réduction des émissions de 68% d’ici 2030. Un objectif qu’ils veulent à la hauteur du pays qui présidera la COP26 de novembre 2021. Le Canada vient aussi de s’engager pour une réduction de plus de 30% de ses émissions d’ici 2030 avant d’atteindre le Net Zéro en 2050.

Parmi les annonces les plus ambitieuses, on trouve la Finlande qui a confirmé qu’elle vise la neutralité carbone dès 2035, l’Autriche avec un objectif pour 2040 ou encore la Suède pour 2045. Le Danemark s’engage lui à réduire ses émissions de 70% d’ici 2030.

Du côté de chez nous, la Suisse vient aussi de renouveler ses engagements pour réduire ses émissions de 50% d’ici 2030, et atteindre la neutralité d’ici 2050. Elle prévoit cependant de réaliser un quart de ses objectifs à l’étranger.

Des accords de compensation sur les émissions carbone ont été signés avec le Pérou et le Ghana. Ceci va permettre l’achat de crédits carbone générés grâce à des projets qui soit captent du CO2 de l’atmosphère, soit permettent d’éviter des émissions supplémentaires.

Enfin, on a les moins bons élèves qui se sont engagés pour 2050, mais qui repoussent à plus tard la mise en place d’objectifs intermédiaires, comme le Japon, l’Inde et la Corée du Sud. La Russie s’est engagée à réduire ses émissions de seulement 30% d’ici 2030, un niveau jugé très insuffisant. Le Brésil s’engage pour un objectif de neutralité en 2060 sans apporter plus de précisions sur les objectifs 2030 et reste pointé du doigt pour ses activités de déforestation et de destruction de la forêt amazonienne, qui a atteint un sommet durant la dernière décennie.

Les entreprises adoptent aussi l’ambition climatique

Les entreprises ont suivi la tendance avec des annonces historiques et très engagées. On a d’abord les plus grandes en termes de capitalisation boursière comme les GAFAM :

GoogleL’empreinte carbone nette historique de Google sera désormais fixée à zéro. La société procèdera à l’achat de compensations carbone couvrant toutes ses opérations depuis son lancement. De plus, d’ici 2030, la société veut que tous ses centres de données et campus soient uniquement alimentés par de l’électricité renouvelable.
AppleDéjà neutre en carbone aujourd’hui pour ses émissions au niveau mondial, Apple prévoit de ramener l’ensemble de son empreinte carbone (y compris toute sa chaîne d’approvisionnement et tous ses produits) à net zéro en 2030, 20 ans plus tôt que la cible mondiale. Cet engagement signifie que d’ici 2030, chaque appareil Apple vendu aura un impact climatique net nul.
FacebookLa société, une des plus grandes entreprises de médias sociaux au monde, a annoncé un objectif net zéro pour l’ensemble de sa chaîne de valeur d’ici 2030, y compris ses fournisseurs et ses utilisateurs. Cette année également, Facebook deviendra 100% soutenu par les énergies renouvelables pour l’ensemble de son activité.
AmazonEn 2019, Amazon s’est engagée à devenir net zéro carbone pour l’ensemble de ses activités d’ici 2040, 10 ans avant l’Accord de Paris. Elle a pris des engagements ambitieux pour atteindre cet objectif. Elle a 10 │ Janvier 2021 entre autres l’ambition de rendre toutes ses livraisons neutres à terme et 50% de toutes les expéditions seront neutres d’ici 2030. Amazon a aussi annoncé un investissement de USD 100 millions dans des projets d’atténuation des impacts climatiques et des projets de reforestation.
MicrosoftL’engagement de Microsoft se décline en 3 objectifs : tout d’abord d’ici 2030, Microsoft sera carbone neutre. Ensuite, d’ici 2050 elle éliminera tout le carbone qu’elle a émis depuis sa création en 1975. Enfin, un investissement de USD 1 milliard sera déployé à travers un nouveau fonds d’innovation climatique pour accélérer le développement des technologies d’élimination, de réduction et de capture du carbone.

On a ensuite les entreprises les plus polluantes qui font face à des pressions croissantes de la part de leurs investisseurs et de la société civile en général, notamment celles actives dans le secteur de l’Énergie comme BP, Repsol, Shell, ENI ou encore plus récemment Total qui ont annoncé la neutralité carbone d’ici 2050. Ces annonces restent insuffisantes et sont largement critiquées par les ONG.

En Suisse, on est aussi sur une bonne lancée. LafargeHolcim la première entreprise mondiale de matériaux de construction a fixé un objectif net zéro pour 2050. Elle a aussi fixé des objectifs intermédiaires qui ont été approuvés par l’initiative « Science Based Targets » en alignement avec la trajectoire cible. On a aussi Nestlé qui s’est engagée pour un objectif similaire et qui compte investir plus de 3 milliards de CHF pour y parvenir. Enfin, parmi les plus ambitieux on trouve des sociétés comme Firmenich avec un objectif de neutralité pour 2020 et un investissement de CHF 15 millions dans les énergies renouvelables.

« … 2020 aura été une année très complexe et éprouvante pour la santé publique, l’accentuation des inégalités et la croissance économique. … »

Toutes ces vagues d’annonces (pays, régions, villes, entreprises, universités, etc.) mettent l’objectif de l’Accord de Paris (un réchauffement cible de 1.5 degré) à portée de main. Le CTA (Climate Action Tracker) a calculé que le réchauffement climatique d’ici 2100 pourrait être inférieur à 2,1 degrés en tenant compte de toutes les promesses « Net Zéro » annoncées à fin novembre 2020.

Ces engagements sont-ils suffisants ?

Il est clair que l’Accord de Paris a été un moteur d’action non négligeable en faveur du climat. À la veille de son cinquième anniversaire, l’enquête du Climate Action Tracker montre que les estimations de hausse de température ont diminué tant pour les objectifs (selon les différentes annonces) que pour les projections d’émissions réelles. En effet, avant la COP21, nous nous dirigions vers un réchauffement de plus de 4 degrés. Après les engagements de 2015, nous étions passés à niveau de 3.7 degrés et aujourd’hui nous avançons enfin vers une décarbonisation possible de l’économie.

Néanmoins, plusieurs acteurs dont des ONG très engagées pointent du doigt la position de plusieurs pays et entreprises qui continuent de financer des secteurs controversés comme le gaz ou encore le nucléaire qui sont proposés par certains comme une énergie de transition. Là encore, sous la pression on voit qu’il y a une évolution positive. L’Union européenne a par exemple interdit le financement des énergies fossiles par son fonds dédié à la transition. Le Fonds européen de développement régional limite également ses investissements dans les fossiles à 1% et durcit les conditions de financements.

Quelles tendances et opportunités à surveiller de plus près ?

Le passage à une économie sans carbone s’accélère et l’ampleur des possibilités de création d’emplois et de lutte contre les inégalités sociales au sens large prend une tendance croissante. Dans un avenir proche, les plus grands émetteurs feront face à des pénalités réglementaires, payeront des taxes plus élevées et verront leurs coûts de financement prendre l’ascenseur. À l’inverse, les entreprises qui ont une gestion plus efficace de leurs émissions auront une plus grande résistance à ces risques et bénéficieront d’un intérêt plus grandissant des investisseurs qui se tournent de plus en plus vers les actifs durables.

Les technologies vertes seront clairement favorisées et deviennent de plus en plus accessibles avec une claire baisse au niveau des coûts. Néanmoins, les besoins en investissement nécessaire pour faciliter la transition restent très importants. Certains les estiment à plus de USD 5’000 milliards. Nul n’a de doute de l’impact positif sur l’emploi si ces projections s’affirment.

Le secteur qui en sort gagnant de ces projections d’investissement est évidemment celui des énergies renouvelables, qui restent incontournables pour l’atteinte des objectifs de neutralité et sont de plus en plus soutenues par les gouvernements. La Chine, par exemple, selon les récentes déclarations de son leader, devra annoncer des objectifs renouvelables qui seront revus massivement à la hausse pour son prochain plan quinquennal (attendu pour 2021). Le gouvernement britannique a lui prévu un budget de EUR 13 milliards pour développer entre autres l’éolien offshore et l’hydrogène. Quant à l’Union européenne, le budget prévu est de l’ordre de EUR 300 milliards et se focalisera surtout sur l’hydrogène qui lui nécessite l’installation massive de capacités renouvelables (notamment solaire) supplémentaires.

Le secteur de la Mobilité douce est aussi un thème porteur. Plusieurs annonces confirment cette tendance. Le Royaume-Uni, par exemple, a annoncé l’interdiction de la vente de véhicules neufs à essence ou diesel dès 2030.

« …La reprise sera lente et prendra des années. Mais grâce à cet élan d’engagement collectif, il nous reste une lueur d’espoir … »

Les véhicules électrifiés restent aussi la priorité de la Chine qui représentent le plus grand marché (objectif de supprimer les véhicules à combustion en 2035) et domine même toute la chaîne d’approvisionnement des batteries pour les véhicules électriques (l’amélioration de la technologie des batteries reste la clé du succès de l’électrification).

En effet, seulement 1% de la production mondiale des cellules lithium nécessaire pour la production des batteries est réalisé en Europe, 90% en Asie, dont 65% pour la Chine. Afin de limiter cette dépendance à la Chine, l’Europe (à travers un engagement de 7 membres qui sont la France, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne, la Belgique, la Suède et la Finlande) va créer un réseau de production compétitif de cellules pour les batteries durables. Ce projet se nomme « l’Airbus des Batteries ».

Enfin, on trouve les infrastructures et les bâtiments qui occupent une place centrale dans notre quotidien et sont les plus grands émetteurs de CO2 (36%) et les plus grands consommateurs d’énergie (40%) notamment en Europe.

L’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments et des infrastructures a donc un rôle essentiel à jouer dans la réalisation des objectifs de neutralité. Les besoins en investissement sont considérables (les spécialistes estiment que 75% du parc immobilier européen est inefficace sur le plan énergétique) car il faudrait doubler le taux des rénovations actuel pour atteindre les objectifs. Ainsi, dans le cadre du « Green Deal » européen, la Commission européenne prévoit d’investir EUR 1 milliard dans les infrastructures vertes, les bâtiments économes et toutes autres technologies (ex. compteurs intelligents, technologie d’isolation) en lien avec ces secteurs.

2020 aura été une année très complexe et éprouvante pour la santé publique, l’accentuation des inégalités et la croissance économique. La reprise sera lente et prendra des années. Mais grâce à cet élan d’engagement collectif, il nous reste une lueur d’espoir.

Cet élan me rappelle une très belle légende, celle du colibri :

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! » Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »

Leila Khammari, CAIA

Directrice adjointe
Analyste produits financiers

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